Le souterrain (by ViveAdam)

Summary: Ben découvre qu’Adam a creusé un souterrain sous la maison. Cette découverte va être mise à profit par presque toute la famille  

Rated: K  WC  8000

 

 

Le Souterrain

Story Notes:

 Comédie – vaudeville

Personnages passagers de la série apparaissant dans cette histoire :

– la comtesse de Chadwick et Montague

– Adah la magnifique

– Mariette Blane

***

Le souterrain

Il était tôt, ce matin-là lorsque Ben, prenant son habituel café, s’approcha de la fenêtre qui donnait sur la cour. La vue  qui l’y attendait le fit sursauter et faire un pas en arrière.

Elle ! Pas encore elle ! Elle était suivie par son éternel et dévoué majordome, Montague, qui portait un énorme paquet, de toute évidence, un tableau.

Pourquoi revenait-elle ? Ne s’était-elle pas mariée, selon ce que les journaux avaient annoncé ? Quelle que soit la raison de son retour, en tout cas, Ben ne pouvait supporter l’idée de la revoir, ni elle ni ses horribles peintures. Comment pouvait-il s’échapper ? Il fallait absolument qu’il s’échappe. Mais pas d’issue… La cheminée, peut-être ? Impossible, on venait d’y faire du feu. Et l’autre qui se rapprochait dangereusement… « Adam », aboya-t-il en désespoir de cause.

Ce dernier dévala les escaliers, sa chemise noire encore non boutonnée : « Qu’y a-t-il, Pa ? » ; demanda-t-il, de l’inquiétude dans la voix.

« La Comtesse, Linda Chadwick, voilà ce qu’il y a. Elle est revenue ». Affolé, il posa ses mains sur les épaules d’Adam et le secoua fiévreusement : « Aide-moi, Adam, je ne veux plus jamais la voir, ça m’est insupportable. Fais-moi disparaître et quand elle demandera après moi, dis-lui que je suis mort. »

Adam fut à la hauteur de la situation. Il ne perdit pas de temps à discuter, il pouvait d’ores et déjà entendre les pas dans la cour. Il attrapa la main de son père et traversa la salle de séjour en courant, pénétra dans la cuisine, bouscula Hop-Sing et posa son doigt à un endroit du mur, derrière le four. Sentant l’aspérité qu’il cherchait, il appuya dessus. Le four pivota, révélant une ouverture et un escalier qui descendait.

« Vite, Pa, c’est l’entrée d’un souterrain que j’ai creusé il y a huit ans à un moment où tu étais en voyage à Mexico. Il mène à une issue cachée au-milieu du bosquet qui s’élève à une centaine de mètres d’ici, derrière les écuries, tu vois ce que je veux dire ? Alors, dépêche-toi, ils ne vont pas tarder à frapper à la porte, maintenant. »

Effectivement, on pouvait entendre de violents coups frappés à la porte et la voix de Hoss qui criait : « Du calme, du calme, on arrive… »

« N’ouvre pas, Hoss, surtout n’ouvre pas, attends-moi », s’écria Adam. Et il poussa son père sur la première marche de l’escalier.

Ben prit juste le temps de fixer son fils aîné d’un air qui n’augurait rien de bon : « Débarrasse-nous d’elle, Adam et dès qu’elle aura fichu le camp, nous aurons une petite conversation au sujet de ce souterrain. »

Dès qu’il eut vu Ben disparaître dans l’obscurité du tunnel, Adam pressa le bouton et le four reprit sa place habituelle.

« Ca y est, Hoss, tu peux ouvrir la porte », cria-t-il et, boutonnant hâtivement sa chemise, il se dirigea vers la grande salle. Joe avait rejoint ses frères et Adam tremblait à l’idée que l’un des deux prenne la parole avant lui et fasse une gaffe.

La Comtesse entra, visiblement furieuse et prête à leur passer un savon de première.

« Eh bien, ce n’est pas trop tôt ! Mais qu’est-ce que vous pouvez bien fabriquer ? On n’a pas idée de mettre autant de temps à ouvrir une porte. Vous êtes sourd ou quoi ? », dit-elle sur un ton qui dénotait qu’elle n’avait pas été comtesse toute sa vie. Puis, ayant jeté un regard circulaire sur les occupants de la pièce : « Où est votre père ? », demanda-t-elle.

« Il est parti », répondit Adam précipitamment, « il est parti en voyage en Irlande. »

Hoss essaya de prendre la parole et commença un timide : « Mais Adam … »

Par-dessus l’épaule de Hoss, Adam jeta un regard significatif à Joe qui voulait clairement dire : « Empêche-le de parler. » Comprenant au quart de tour, celui-ci s’avança et marcha sur le pied de Hoss, ce qui l’empêcha de terminer sa phrase.

« Que dites-vous, Adam ? », demanda Linda Chadwick, sidérée, « Votre père est en route pour l’Irlande ? »

« Absolument. Il nous a quittés il y a une semaine. Il avait tellement hâte de vous revoir qu’il a décidé qu’il irait à vous puisque vous ne veniez pas à lui. »

La face jusque-là irritée de Linda Chadwick se fendit d’un large sourire.

« Ainsi, il veut me revoir. Quel amour ! Mais », ajouta-t-elle, sentant qu’il y avait quelque chose de bizarre dans les nouvelles que l’on venait de lui donner, « comment a-t-il su que j’avais rompu mes fiançailles ? »

Pris au dépourvu, Adam ouvrit la bouche sans parler, en une expression qui lui était familière. Il pensait à toute allure. Se ressaisissant, il lança : « La veuve ! Madame Hawkins, vous le lui avez écrit, rappelez-vous. »

« Oh mais bien sûr, Clémentine. La coquine ! Elle n’a pas pu s’empêcher de répandre mon secret à tout vent. Je vais la gronder. Bon, Montague, si Ben est en route pour l’Irlande, nous ferions mieux de nous dépêcher. Nous avons peut-être une chance d’embarquer sur le même bateau que lui. En tout cas, nous allons essayer. Ce serait délicieux de faire une croisière en sa compagnie. Par quel port compte-t-il partir ? »

« Eh bien », répondit Adam, « je crois qu’il voulait d’abord passer par Boston – vous savez que nous avons de la famille là-bas et aussi la tombe de ma pauvre mère. Il pensait embarquer là-bas, direction Londonderry. »

« Très bien ! Montague, allons à Boston ». Elle avait saisi le bas de sa robe et s’apprêtait à quitter la maison quand elle s’arrêta brusquement : « Ah, mon Dieu, mon Dieu, Montague, qu’allons-nous faire du tableau ? »

« Je pense, Milady, que ce serait préférable de le laisser ici. Monsieur Cartwright sera content de le retrouver quand il rentrera. »

« Mais comment savez-vous, Montague, qu’il rentrera. Qui peut le savoir ? Après tout, il pourrait décider de s’installer avec moi en Irlande. Non, plus j’y pense, plus je crois qu’il vaut mieux l’emporter avec nous. Allons, au revoir les garçons et la prochaine fois, bougez-vous plus vite. »

Leur tournant le dos, elle fit un signe à Montague qui lui ouvrit la porte avec déférence et elle s’éloigna à grands pas majestueux. Avant de la suivre, Montague tourna la tête vers Adam et, le fixant droit dans les yeux, laissa tomber :

« Bien commode, ce voyage ! ». Et il s’en alla.

Adam fit à ses frères des signes cabalistiques pour leur faire comprendre qu’ils devaient se taire aussi longtemps qu’on pouvait les entendre. Le jeune homme alla à la fenêtre qui donnait sur la cour. La vue  qui l’y attendait lui fit pousser un soupir de soulagement : Linda était en train de grimper dans sa calèche avec sa majordome. Quelques secondes plus tard, le véhicule s’ébranla et s’éloigna.

Immédiatement, il se précipita à la cuisine, suivi de ses deux frères qui n’étaient pas au bout de leurs surprises. Il activa le mécanisme et cria :

« Pa, Pa, ça y est tu peux venir, elle est partie, tu n’as plus rien à craindre. »

Hoss, Joe et Hop-Sing écarquillèrent les yeux à la vue de leur père ou patron qui émergeait d’un tunnel qui leur était totalement inconnu. Une nouvelle fois, Adam actionna le mécanisme pour cacher l’entrée du souterrain derrière le four et Ben demanda à Hop-Sing de faire du café. Puis dardant un regard noir vers son fils aîné : « Et maintenant, jeune homme, à nous deux, j’ai quelques mots à te dire ou plutôt, c’est toi qui me dois quelques explications. Allons dans la salle de séjour, nous y serons plus à l’aise ». Adam le suivit, dans ses petits souliers. Mais avant d’aborder le sujet du souterrain, Ben voulut savoir comment ses fils s’étaient débrouillés pour se débarrasser de l’intruse et rit de bon cœur quand il apprit qu’Adam avait expédié la comtesse, d’abord à Boston, ensuite à Londonderry.

Mais ils brûlaient tous d’en savoir plus long sur le souterrain : « Et maintenant, mon garçon, tu vas me dire la raison pour laquelle tu as creusé un souterrain sous ma maison, à mon insu. »

« Eh bien, Pa, c’est simplement que j’ai pensé que ce serait commode en cas d’urgence. »

« Tiens, tiens, en cas d’urgence… Quelque chose comme ce matin, c’est ça ? »

« Oui, tout à fait, comme ce matin ou n’importe quoi d’autre, des indiens, des bandits… »

« Tu m’en diras tant ! Dans ce cas-là, j’aimerais comprendre pourquoi tu es le seul à être au courant de son existence. »

Adam ne put s’empêcher de rougir: « Eh bien, Pa… »

« Eh bien, Pa, eh bien, Pa… » parodia Ben en forçant la voix. « Laisse tomber, Adam. Tu ferais mieux d’admettre que tu as construit ce souterrain pour te ménager un moyen d’aller et venir à ton aise. Comme ça, si tu rentrais à la maison après minuit, personne n’en savait rien, j’ai raison ? »

Adam baissa les yeux : « Oui, tu as raison, Pa. »

« Et ça ne t’est pas venu à l’idée qu’en faisant ça, tu nous mettais en danger ? »

Adam releva la tête : « Je n’ai mis personne en danger », déclara-t-il, fièrement.

« Ecoute, garçon, je suppose que tu ne l’as pas creusé tout seul, ton tunnel. Tu n’as pas eu besoin de te faire aider ? »

« Si, j’ai demandé à quelques hommes de me donner un coup de main. »

« Des hommes que tu croyais dignes de confiance, je suppose. Mais tu devrais savoir que, dans ce genre de choses, il ne faut faire confiance à personne. »

Adam secoua la tête : « Je n’ai fait confiance à personne. Ils m’ont aidé à creuser mais c’est moi qui ai installé tout seul le mécanisme d’ouverture. Personne, à part moi, ne sait ouvrir la porte. »

« Ne savait… », ne put s’empêcher de rectifier Joe, avec un sourire malicieux.

« Je t’en prie, Joe, tais-toi, je ne suis pas d’humeur à plaisanter », l’interrompit sévèrement Ben. Puis, revenant à son fils aîné : « Personne ne connaît l’ouverture de ce côté, soit, mais à l’autre bout, ils en connaissent la sortie. Des gens mal-intentionnés pourraient nous attendre à la sortie s’ils ont des raisons de penser que nous nous servons du souterrain. »

Une fois de plus, Adam secoua la tête. « Personne non plus ne connaît la sortie. Quand nous avons creusé le tunnel, j’avais dessiné un deuxième plan. Après avoir congédié les ouvriers, j’ai creusé une autre partie de tunnel, celle qui débouche à la sortie actuelle et j’ai bouché la première issue. »

Et adressant un chaleureux sourire à son père, il déclara, manifestement très content de lui : « Tu vois, aucun danger pour nous et une sortie de secours pour toute la famille. »

Ben, comme d’habitude avec Adam, oscilla entre l’agacement que lui causait sa manie d’avoir réponse à tout et l’admiration pour cette tête bien faite. En fin de compte, ce souterrain l’avait bien sorti d’embarras et il pouvait les sauver de périls bien plus grands qu’une intrusion de Linda Chadwick.

« Bon », finit-il par dire, « va pour le souterrain mais désormais, c’est moi qui en contrôle l’utilisation, compris ? »

« Sûr, Pa », fit Hoss, docile.

« Comme tu veux, Pa », fit Adam qui savait bien qu’en sa qualité de concepteur du mécanisme, il ferait ce qu’il voudrait.

« Bien entendu, Pa », fit Joe qui pensait in petto qu’il arriverait bien à tromper la vigilance paternelle et à faire rentrer ses conquêtes par ce chemin inespéré.

« Pas d’accord ! » piailla une voix. « Hop-Sing pas vouloir que son four tournique tout le temps. Tunnel dans la cuisine, cuisine domaine d’Hop-Sing. Plus personne utiliser tunnel, sinon Hop-Sing assommer à coups de poêle à frire qui viendra. Compris ? »

Et, dodelinant de la tête, il répéta « Compris ? ». Personne n’osa le contredire.

Le soir-même, Adam s’enferma dans sa chambre et commença à étudier les plans d’une autre issue qui échapperait au périmètre de l’irascible cuisinier.

Vers une heure du matin, sourire aux lèvres, il rangea soigneusement ses dessins, il avait trouvé.

Pendant qu’il se déshabillait, il réfléchit à la réalisation de son plan : ce n’était pas le tout de dessiner des trajectoires, ensuite, il fallait creuser et secrètement.

« Pas de doute », se dit-il, « il me faut un complice et je n’en vois qu’un, c’est Joe. Hoss ne sait pas garder un secret. Je vais lui en toucher deux mots dès demain. »

Et il s’endormit d’un sommeil qui prouvait que sa conscience n’était pas tourmentée par le remords.

Il ne lui fut pas difficile de se ménager une entrevue tranquille avec son benjamin. Il aiguilla habilement son père sur la nécessité d’avoir l’aide de Joe pour accélérer le mortaisage des poutres destinées à la mine de John Mackay. Dans le brouhaha de la scierie et pendant qu’ils s’activaient côte à côte, Adam lança à mi-voix :

« Joe, comment considères-tu l’attitude de Pa concernant le souterrain ? »

Sur ses gardes car il ne voyait pas où Adam voulait en venir, Joe répondit :

« Que veux-tu savoir exactement ? »

« N’as-tu pas trouvé qu’il était un peu injuste ? D’accord, j’avais creusé ce tunnel sans lui en parler mais ça l’a bien dépanné pour échapper à la Comtesse. Tu comprends, si j’ai gardé le secret, c’est qu’un souterrain, si tout le monde le connaît, ça devient le moyen de rentrer chez les gens à toute heure du jour et de la nuit. C’est une aubaine pour les indésirables de tous poils, les voleurs, les casse-pieds… »

« Oui, je vois ce que tu veux dire. »

« C’est pourquoi je considère que l’actuel souterrain est pratiquement inutilisable maintenant. »

« Oh, quand même, tu exagères, tu ne vas pas le boucher, hein ? »

« Non, bien sûr, Pa serait le premier furieux car j’ai idée que, sans le dire, il compte bien braver les interdits de Hop-Sing et l’utiliser. »

Joe commençait à se douter que si Adam s’étendait sur ce sujet, ce n’était pas simplement pour lui parler de sa déception. Il avait visiblement une idée derrière la tête. »

« Où veux-tu en venir ? »

« Je voudrais ouvrir une nouvelle issue qui ne serait connue que de toi et de moi. »

« Tiens, tiens ! Et pourquoi me mets-tu dans la confidence ? Ca ne te ressemble pas… »

Adam poussa un soupir exaspéré. En prenant de l’âge, Joe devenait de plus en plus difficile à circonvenir. On ne pouvait plus lui faire prendre des vessies pour des lanternes. Il décida de brûler ses vaisseaux.

« Bon, je ne vais pas tourner autour du pot, j’ai besoin d’un complice. La dernière fois, Pa était au Mexique, tu étais à l’école et j’avais envoyé Hoss garder les troupeaux dans la montagne. Quant au mécanisme de la cuisine, je l’ai fait nuit après nuit pendant que Hop-Sing dormait et le jour où j’ai fait le trou dans le mur, c’était un dimanche où vous étiez parti avec lui fêter le Nouvel An chinois chez ses amis à Virginia City. Mais là, il va falloir travailler avec tout le monde sur place. J’ai besoin que tu fasses le guet. »

Ravi à l’idée qu’il allait pouvoir se servir d’un souterrain inconnu de tous à l’exception d’Adam (rien n’est parfait), Joe répondit : « Tope-là, je suis ton homme. »

L’idée d’Adam était de créer une nouvelle entrée et une nouvelle sortie, en conservant le tronc commun. De la sorte, il n’y aurait que quelques mètres à creuser. Derrière l’écurie, il y avait une cabane à outils où personne ne s’étonnerait de les voir entrer. C’est là que déboucherait le nouveau morceau de tunnel. Dans le boyau qui constituait le corps du souterrain, il ouvrirait une sortie masquée par un rideau couleur de la roche. Son père, dans l’obscurité, ne remarquerait rien mais Joe et lui sauraient qu’en comptant cinq pas après le troisième point de repère dont Adam avait jalonné son premier ouvrage, on trouvait sur la droite le passage en question.

Côté maison, la nouvelle issue devait se placer dans la chambre d’amis, près de la cuisine. On sortirait dans le placard, habituellement vide quand la chambre n’était pas occupée, dont Adam avait bricolé la serrure pour qu’on puisse l’ouvrir des deux côtés : il ne s’agissait pas de se retrouver coincé sous le prétexte que quelqu’un aurait fermé le placard à clé.

La collaboration de Joe consistait à organiser toutes sortes d’occupations le samedi soir et le dimanche, de telle sorte qu’Adam ait le champ libre pour travailler. Ils se partageaient tous deux la tâche de disperser discrètement la terre qu’Adam stockait dans un premier temps dans la cabane à outils.

Il leur fallut malgré tout deux bons mois pour parvenir à leurs fins, Ben étant, comme à son habitude, assez généreux quant à la charge de travail qu’il donnait à ses fils, particulièrement l’aîné.

Un soir, cependant, Adam souffla dans l’oreille de Joe : « Va te coucher tôt mais ne te déshabille pas, on inaugure le nouveau souterrain cette nuit. »

Pendant le repas, ils affectèrent l’un et l’autre une grande fatigue, multipliant les bâillements, les soupirs et les déclarations d’intention de ne pas s’attarder à la veillée. Hoss tenta de proposer une partie de dames qui fut sèchement refusée. Ce que voyant, Ben déclara qu’au fond, ça ne leur ferait pas de mal, pour une fois, de se coucher tôt. Le patriarche s’attarda malgré tout encore une demi-heure après le départ de ses fils, à vérifier des comptes mais finit par gagner sa chambre, le bruit de ses pas dans le couloir étant impatiemment guetté derrière deux portes.

Se méfiant de l’impatience de Joe, Adam avait décidé que c’est lui qui donnerait le signal du départ. Il se contraignit à attendre encore une bonne demi-heure, le temps que Ben soit couché et, il l’espérait, endormi. Enfin à pas de chat, il sortit de sa chambre et alla gratter à celle de Joe.

Celui-ci avait fait toilette, ce qui ne manqua pas de surprendre Adam. Il lui demanda pourquoi mais Joe lui répondit que leur association n’impliquait pas qu’il lui fasse part de ses projets une fois sorti du souterrain.

Emergeant de la cabane à outils, les deux frères allèrent silencieusement seller leurs chevaux ; l’un prit la direction du Lac Tahoe, l’autre de Virginia City.

« Attention à ton heure de rentrée », lança Adam à son frère, « ce serait trop bête de se faire prendre juste parce que tu ne sais pas regarder une horloge. »

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Quelques temps plus tard, Hoss apporta le courrier à son père avec un air légèrement goguenard : sur la pile de courrier commercial habituel, il avait posé bien en vue une longue enveloppe ivoire d’où émanait une senteur de musc, sur laquelle une main certainement féminine avait tracé son nom à l’encre marron. En venant chercher son propre courrier, chacun des garçons jeta un regard appuyé et interrogatif à la mystérieuse missive mais Ben se garda bien de l’ouvrir devant eux. Après les avoir expédiés au travail, il s’attabla confortablement à son bureau, sortit un coupe-papier et ouvrit son courrier. Il alla droit à la signature : « Adah ! Ca alors, que me veut-elle ? »

« Mon cher Ben, J’ai longtemps hésité à vous écrire mais en fin de compte je prends mon courage à deux mains et je me lance. Ben, avant toute autre chose, je dois vous dire pardon. Je me suis horriblement mal conduite la dernière fois que je suis venue à Virginia City : j’ai accepté vos attentions, je vous ai laissé aller jusqu’à une demande en mariage, tout ça pour m’enfuir comme une écolière qui fait le mur avec cette brute de Johnny. Que voulez-vous, cet homme m’a envoûtée depuis ma plus tendre jeunesse et je n’arrivais pas à m’en détacher. Mais aujourd’hui, c’est chose faite : il m’a lâchement abandonnée pour une jeunesse blonde, une sans cervelle qui va lui manger le peu d’argent qu’il a et qu’il n’osera même pas battre comme il le faisait avec moi. Je suis dégoûtée. Par tout. Par Johnny, par ma vie de saltimbanque, par les hommes qui me manquent de respect. Ben, je n’ai plus qu’une envie, me réfugier dans les bras de mon amant-Papa, vous, qui avez toujours été si bon avec moi. Je suis à Virginia-City, incognito car je crains de ne pas y avoir laissé un très bon souvenir. Ni au Grand Hôtel, avec les dégâts qu’y a causés Johnny, ni à vos deux plus jeunes fils qui ne m’apprécient guère, ni à votre fils aîné qui m’apprécie trop et s’en veut de cela à cause de vous. Je voudrais tant vous voir, mais tranquillement, dans un endroit où je pourrais vous parler à cœur ouvert, sans risque d’être dérangée. Celle qui espère que vous pourrez lui pardonner, Adah PS Je loge chez la veuve Hawkins, sous le pseudonyme de Mrs Hade » 

Ben reposa la lettre, ne sachant ce qu’il devait en penser. D’un côté, Adah s’était bien moquée de lui et cela semblait trop facile pour elle de venir sonner à une porte qu’elle avait claquée, juste parce que la planche pourrie à laquelle elle s’était accrochée l’avait lâchée. D’un autre côté, c’était quand même flatteur qu’une femme aussi séduisante, qui ne devait pas manquer de prétendants, se retourne vers lui.

« Allons », se dit-il, « je ne risque rien à une entrevue, elle ne va pas me violer. Le tout, c’est de trouver l’endroit où organiser cette entrevue. Mais j’y pense : le souterrain d’Adam. Je dois pouvoir l’introduire en fin d’après-midi, le jour de congé de Hop-Sing et ensuite, de la cuisine à la chambre d’amis, j’en fais mon affaire. »

Et le sourire aux lèvres, il sortit son papier à lettres et se mit en devoir de répondre.

Joe avait usé et abusé du souterrain pour aller, à la brune, voir la jeune Careen Willard, une jeune fille qui habitait dans un hameau situé à trois miles du ranch, sur la route de Virginia. Fort naïfs, les parents de Careen l’envoyaient se coucher à huit heures et n’imaginaient pas une seconde que quelqu’un puisse rendre visite à leur fille pendant qu’ils sirotaient leur tisane. Joe passait par l’arrière de la maison, déplaçait l’échelle que Mr Willard laissait étalée sur la pelouse et se juchait jusqu’à la fenêtre de sa bien-aimée pour lui conter fleurette.

Mais depuis plusieurs semaines que durait ce jeu, Joe se demandait comment diantre Roméo avait fait pour embrasser Juliette. Il avait fait plusieurs tentatives infructueuses et la plus hardie s’était terminée par une chute spectaculaire dont le bruit avait fait sortir le père Willard, fusil à la main. Joe n’avait dû son salut qu’à ses talents de reptation et s’était tapi sous la haie en retenant son souffle pendant que Careen soufflait sa bougie pour que son père la croie endormie.

Cet incident avait décidé Joe à proposer un autre lieu de rencontre. La jeune fille avait la possibilité de s’éclipser de chez elle, le jour de lessive, un peu avant cinq heures, alors que sa mère frappait vigoureusement le linge de son battoir, au lavoir du hameau et que son père était encore aux champs.

Trahissant la promesse de secret faite à son frère, il révéla à Careen  la deuxième entrée du souterrain. Elle devait se rendre dans la chambre d’amis et attendre patiemment que Joe la rejoigne par la même voie.

Adam était en train de charger les provisions dans le chariot quand il vit s’approcher sa sœur adoptive Mariette. Il avait toujours eu un faible pour cette jeune femme que son père avait fini d’élever quand elle s’était retrouvée orpheline et il avait lutté pour ne pas laisser la secrète inclination amoureuse qu’il ressentait pour elle prendre le pas sur les sentiments fraternels qu’il affichait au grand jour. Bien lui en avait pris car elle avait épousé Jason Blane qui avait apparemment comblé toutes ses attentes.

Tout en sachant ce que Mariette devait aux Cartwrights et ce que, lui, Blane, devait à Adam qui lui avait sauvé la vie, Jason n’aimait guère à recevoir les Cartwrights ou, plus exactement Adam, son instinct l’avertissant probablement de l’ambiguïté des relations entre sa femme et son pseudo-frère. Aussi, sans s’être concertés, Adam et Mariette ne se voyaient-ils que seul à seule, à l’initiative de la jeune femme, en général, quand celle-ci éprouvait le besoin de s’épancher, de demander conseil ou de se plaindre de son mari.

C’était, semble-t-il, dans cette dernière intention que Mariette cherchait aujourd’hui à s’entretenir avec Adam. Elle avait les yeux rouges et Adam mourait d’envie de la serrer contre sa poitrine pour la consoler mais il pouvait difficilement faire ça alors que la femme de l’épicier et celle du forgeron, deux impitoyables commères, se dirigeaient vers le magasin devant lequel le chariot d’Adam stationnait.

« Il faut que je vous parle, Adam », gémit Mariette, « mais pas ici ».

« Venez à Ponderosa ».

« Je ne peux pas, je ne veux pas voir le reste de la famille. Votre père me poserait des tas de questions intempestives, Joe et Hoss voudraient se battre avec Jason. Non, non, pas chez vous. »

« Si, chez moi, mais par un chemin secret que je vais vous révéler. Venez ce soir, vers cinq heures et après avoir attaché votre jument, entrez directement dans la cabane à outils. Ouvrez le placard du fond… »

Et il lui donna la marche à suivre pour se retrouver, à l’insu de tous, dans la chambre d’amis de Ponderosa.

Hop-Sing ne décolérait pas. Il s’en voulait à lui-même. Il avait minutieusement préparé un cadeau pour le vénérable Hang-Chou-Li dont on fêtait le quatre-vingt dixième anniversaire et il l’avait oublié au ranch.

Il avait donc rebroussé chemin et revenait aussi vite que le lui permettaient ses petites jambes. Il aurait juste le temps de rentrer, de prendre son cadeau et de repartir. Pas question de se faire alpaguer par l’un des habitants de la maison pour un service inopiné, tout retard devait être évité.

Soudain, il se frappa le front d’un air réjoui : le tunnel, le tunnel que le fils aîné avait creusé. Voilà la voie à emprunter. Il rentrerait et repartirait ni vu ni connu.

Ben se présenta chez la veuve Hawkins et demanda Mrs Hade. Celle-ci apparut, la face cachée par une voilette. Ben la fit rapidement monter dans la carriole fermée qu’il avait louée en ville et, prenant la place du cocher, se dirigea vers sa propriété sans ajouter un mot. Arrivé à l’embranchement qui menait, d’un côté à la maison, de l’autre vers les bords du lac, il opta pour le lac mais ne fit que quelques mètres. Il arrêta les chevaux, descendit à terre et guida l’attelage à la main, un peu en dehors de la route. Il fit alors descendre Adah et lui dit :

« Je suis désolée, chère amie, mais il va vous falloir faire un peu de marche ; la discrétion est à ce prix. »

« Ne vous excusez pas, Ben, la soirée est très douce, cela va nous faire une promenade agréable. » Et elle prit le bras de son cavalier pour se laisser guider. Sur le chemin, Ben lui expliqua l’existence du souterrain et l’usage qu’il comptait en faire :

« Il débouche sur la cuisine. Je passerai devant vous, pour m’assurer que la voie est libre. Vous compterez jusqu’à cinquante et vous me suivrez. Je vous appellerai quand je serai sûr d’avoir fait le vide. Il ne nous restera plus qu’à gagner la pièce voisine où nous serons bien tranquilles, personne n’y va jamais sauf quand nous avons des invités. »

Ben à ce moment, quitta le chemin et pénétra dans un bosquet, au grand étonnement de sa compagne. Elle crut qu’il voulait satisfaire un besoin naturel mais il lui fit signe de le suivre. Ramenant ses jupes au plus près de son corps, elle se faufila entre deux arbres. Elle vit Ben se baisser et soulever une dalle de gazon :

« C’est une idée d’Adam. Il a fabriqué une sorte de jardinière très plate, y a planté de l’herbe et l’a posée sur l’entrée du passage secret. »

En effet, s’habituant à l’obscurité, Adah distinguait un trou béant et ce qui semblait être le début d’un escalier. Elle recula d’un pas, ne se sentant pas très sûre d’avoir envie de s’engloutir dans cette obscurité. Ben s’en aperçut et la rassura : « Attendez-moi deux minutes. Adam a placé quatre lampes à gaz en bas des marches. Je descends en prendre une, non, deux et je remonte vous chercher. »

Dûment munie de son lampion, Adah se sentit en sécurité et entra dans le souterrain. Ils cheminèrent quelques temps à la queue leu leu puis Ben s’arrêta : « Je vais maintenant partir devant en éclaireur. Comptez posément jusqu’à cinquante puis avancez et montez les marches, je vous attendrai en haut. Si la porte est fermée, cela voudra dire qu’il y a un imprévu, toquez discrètement. »

Adah s’efforça de juguler la panique qui la saisissait. C’était stupide, elle n’avait rien à craindre. Elle ferma les yeux et compta jusqu’à cinquante. Puis elle rouvrit les yeux et faillit pousser un cri de frayeur en se trouvant dans la plus complète obscurité. Sa lampe s’était éteinte. A son grand soulagement, elle aperçut, à quelques mètres de là une lueur. Ce devait être Ben. Elle se hâta vers la lumière qui, à peine entrevue, avait disparu. Sans doute Ben avait-il obliqué. Elle tâtait la paroi pour se guider quand elle sentit une tenture. Elle l’écarta, fit quelques pas, maudissant Ben, et son pied heurta ce qui semblait être une marche. Pas à pas, elle commença son ascension. Un rai de lumière apparaissait non loin de là. Au bout de quinze marches, elle toucha une porte en bois. Fermée ! Elle se souvint de la consigne et gratta discrètement la porte. Aucune réponse. Elle recommença. Toujours rien. Elle en avait assez. Tant pis pour la discrétion, elle n’allait pas moisir éternellement dans cette cave. Elle poussa la porte, se retrouva dans une armoire dont les battants, heureusement, s’ouvrirent sans difficulté.

Elle déboucha dans une chambre élégamment meublée d’un grand lit recouvert d’ivoire avec des galons vert amande. Au fond, se trouvait un guéridon où Ben avait disposé deux verres et une carafe contenant un liquide couleur de grenat. Pas de doute, c’était là mais Ben brillait par son absence. Elle retira ses gants et son chapeau et s’installa dans un fauteuil.

Careen était rentrée bravement dans la cabane à outils. A cette heure-là, les ouvriers des Cartwrights étaient encore au travail et l’endroit était désert. Elle vit, sur une étagère les lampes à gaz. Joe lui avait bien recommandé d’en prendre une et de l’allumer avant d’ouvrir le placard du fond et d’y entrer.

Elle descendit les marches sans appréhension, ses dix-sept ans lui faisant trouver l’aventure très romanesque, et suivit l’étroit couloir jusqu’au rideau couleur de roche que Joe lui avait annoncé. Avant de s’aventurer dans le passage, elle passa une tête et se recula brutalement. Une personne venait de passer, elle l’avait entendue et presque sentie. Elle attendit quelques secondes puis, s’enhardissant, passa son bras muni de la lanterne et éclaira la voie. Son cœur bondit dans sa poitrine, c’était une silhouette masculine. Pas de doute, c’était Joe. Elle n’osait pas courir, dans cette pénombre pour le rattraper, mais elle allongea le pas.

Hop-Sing trottinait dans le boyau. Il avait machinalement noté, en prenant une lampe, qu’il en manquait deux mais il n’avait pas le temps d’approfondir le mystère, le très honorable Hang-Chou-Li était bien trop vénérable pour qu’on le fasse attendre pour son anniversaire. Il suivait son chemin en brandissant sa lanterne droit devant lui, sans regarder ni à droite ni à gauche. A un moment, il eut l’impression qu’il entendait le bruit d’une respiration et du froissement d’un tissu de soie mais se dit que c’étaient ses propres bruits qu’il percevait.

Arrivé aux marches, il fut très étonné de voir de la lumière. Quelqu’un l’avait précédé dans le souterrain. Voilà qui expliquait l’absence des lampes. Il maugréa. Il avait pourtant clairement fait comprendre aux garçons qu’il ne voulait plus les voir emprunter ce passage. « Encore un coup de Mistah Joe ! » pensa-t-il. Il était en train d’hésiter sur la conduite à tenir lorsqu’une main effleura sa tunique de soie et qu’il entendit la voix de son patron lancer aimablement : « Mais venez donc, cher ami, ne craignez rien ! »

Il réagit comme s’il avait été piqué par un scorpion : « Mistah Ca’tlight pas t’ipoter tunique de soie de Hop-Sing.  Mistah Ca’tlight pas appeler Hop-Sing cher ami…  Mistah Ca’tlight… »

A cette voix qu’il n’attendait guère, ce fut au tour de Ben de faire un saut en arrière : « Hop-Sing, ça par exemple ! Ce n’est pas à toi que je parlais, j’attendais une dame. »

Entendant le bruit de pas trottinant, Hop-Sing se retourna : « Petite dame arrive. » Et il s’effaça pour laisser apparaître Careen, un peu essoufflée d’avoir monté les marches à toute allure.

« Coucou, me voilà, moi », lança-t-elle avant d’arriver au grand jour. Mais son sourire disparut à la vue du patriarche des Cartwright qui ne comprenait pas comment Adah la magnifique avait pu se métamorphoser en Careen Willard, la fille de ses voisins. Repoussant la jeune fille d’une manière à peine polie, il se pencha sur l’escalier pour voir s’il voyait arriver son invitée. Comment avait-elle pu se perdre en route ?

Tenant Mariette par la main, Adam pénétra dans la cabane à outils et prit sur l’étagère deux lanternes. Il s’aperçut qu’il en manquait une et se dit que Joe était récemment passé par là. Peu lui importait, Joe, il le savait, ne s’attarderait pas dans la chambre d’amis et filerait aussitôt que possible vers sa chambre.

« Ne me lâche pas, Mariette, ce n’est pas long. »

« Oh, Adam, que c’est amusant. Est-ce que ce souterrain existait du temps où je passais les vacances chez vous ? »

« Oui, bien qu’il ait subi récemment quelques modifications. »

« Mais pourquoi ne nous l’avez-vous pas dit, on se serait tellement amusés avec vos frères et vous. »

« D’abord, parce que je ne l’ai pas construit pour l’amusement de mes frères… et sœur, ensuite parce que si j’avais dû en parler à quelqu’un, ce quelqu’un n’aurait certainement pas été une jeune fille innocente et enfin, parce qu’il ne faut jamais partager avec quiconque le secret de l’existence d’un souterrain. »

« Mais alors, pourquoi aujourd’hui, me le montrez-vous ? »

« Des circonstances qui ne vous regardent pas m’ont obligé à trahir mon secret. Mais taisez-vous, nous arrivons. »

Adah commençait à s’ennuyer ferme et à s’impatienter quand elle vit une botte pousser discrètement la porte de l’armoire. Comment Ben se trouvait-il là alors qu’il l’avait précédée ? Au moment où elle se posait cette question, elle vit apparaître une tête coiffée d’un chapeau noir cerclé d’argent : « Adam Cartwright ! », s’écria-t-elle.

L’interpellé stoppa son mouvement et s’immobilisa, le corps encore à moitié prisonnier de l’armoire : « Ca alors, ça alors, Adah Mencken ! Mais que faites-vous là ? »

« Mais c’est moi qui vous le demande. Quand allez-vous perdre votre désastreuse manie de toujours vous interposer entre votre père et moi ? »

« Mais je vous assure que je ne m’attendais pas… »

« Ah vraiment ? Comment expliquez-vous alors votre présence ici ? Et d’abord, sortez de cette armoire. »

Subjugué, Adam obéit sans penser que, ce faisant, il livrait passage à Mariette qui, encore dans l’escalier, n’avait rien entendu. Quand elle vit apparaître cette beauté rousse sagement habillée d’une robe bleu roi, Adah poussa une exclamation : « Oh mon Dieu, un rendez-vous galant ! Vous n’avez pas honte, Adam Cartwright, vous qui étiez si collet monté quand il s’agissait de ma relation avec votre père, vous donnez des rendez-vous à des filles sous le toit paternel ! Et en passant par un souterrain, en plus ! »

Adam allait répondre mais Mariette s’interposa.

« Laissez-moi passer, Adam, que je dise son fait à cette pimbêche ». Et se plantant avec dignité devant l’actrice : « Sachez Madame que je ne suis pas une fille mais une femme honorablement mariée. Je vous prie de retirer vos insinuations. »

Adah eut un petit rire insultant. « Toutes les mêmes, ces femmes comme il faut. Elles n’ont que mépris pour nous, elles nous prennent de haut mais elles ne font ni plus ni moins que nous. Est-ce qu’elle embrasse aussi bien que moi, Adam ? »

Adam retint la main de Mariette qui se levait pour donner à Adah une gifle bien méritée. « Mesurez vos paroles, Madame Mencken, Mariette est ma sœur adoptive et elle a droit de cité ici. Mon père n’apprécierait pas que vous l’insultiez. »

« Tiens, parlons-en de votre père, où est-il, celui-là ? Depuis le temps que je l’attends. Ah, j’entends du bruit, le voilà, ce n’est pas trop tôt… »

Inquiet, Adam se retourna vers l’armoire : « C’est toi, Pa ? »

« Non, c’est moi, Joe. »

Hoss fit son entrée au petit trot dans la cour. La journée avait été dure et il n’était pas fâché qu’elle touche à sa fin. Il mena Chubb à l’écurie et vit que seul Buck était dans sa stalle. « Tiens, les frangins ne sont pas encore rentrés. Très bien, puisque c’est le jour de congé de Hop-Sing, je pense que Pa nous aura préparé du thé et des sandwiches. Tant mieux, je meurs de faim. »

C’est alors qu’il fit quelque chose de tout à fait extraordinaire : il entra par la porte !

« Pa ! » appela-t-il en se dirigeant vers la cuisine. En passant devant la porte de la chambre d’amis, il entendit un vacarme invraisemblable. Il ouvrit la porte et resta tétanisé à la vue de la nombreuse compagnie qui s’y chamaillait. Outre ses deux frères, il y avait là Mariette et une dame élégante qu’il se souvenait avoir déjà vue mais sur laquelle il n’arrivait pas à mettre un nom. Au moment où il retrouvait la mémoire, la porte de la cuisine s’ouvrit brutalement et son père en sortit, tirant par sa manche la jeune Careen Willard. Il resta bouche bée, ses yeux allant de cet étrange couple au non moins étrange quatuor de la chambre. Lequel quatuor se montrait de plus en plus bruyant et agité.

« Lâchez-moi, Adam », cria une voix haut perchée, « ou cette personne me fait des excuses, ou je lui prouve que des années de théâtre m’ont laissé en parfaite forme physique. »

« Miss Mencken, je vous en prie, calmez-vous ! »

« Lâche-moi, Joe, y’a pas de respect qui tienne, je vais lui apprendre à me traiter de traînée. »

« Mariette, Mariette, je t’en prie, cette dame est une ancienne amie de Pa. »

« Ancienne ! Qu’est-ce que vous croyez, petit morveux, c’est votre père qui m’a invitée ici. Je me demande d’ailleurs bien où il est passé. »

Ben ne captait que des lambeaux de phrase mais il avait reconnu au moins deux timbres féminins dans le brouhaha général. Lâchant Careen, il frappa sur l’épaule de Hoss qui bouchait le passage :

« Pousse-toi, Hoss, je te prie. »

Et il se fraya un chemin jusqu’à la chambre d’amis : « Adah, Mariette, que faites-vous ici et par où êtes-vous passées ? »

Ce fut le tympan d’Adah qui capta le premier la voix du patriarche : « Ah, vous voilà, vous ! Qu’est-ce que c’est que cette question, par où je suis passée ? Mais par le fameux souterrain où vous m’avez conduite. »

« Mais je ne vous ai pas vue sortir. J’étais à vous attendre dans la cuisine. J’ai d’abord vu émerger Hop-Sing puis cette fillette », fit-il en désignant la jeune Willard qui s’était réfugiée dans les bras de Hoss.

« Careen ! », hurla Joe, « où étais-tu donc ? Et que fais-tu dans les bras de mon frère ? »

« Mais toi-même, Joe, où étais-tu et que fais-tu avec cette jeune femme en bleu ? »

« Bravo pour la discrétion ! » grinça Mariette dans l’oreille d’Adam.

« Ah, je t’en prie, Joe, ne complique pas les choses, c’est déjà assez embrouillé comme ça », ordonna Ben. « Maintenant, c’est moi qui pose les questions et c’est vous qui me répondez. Hoss, d’où sors-tu ? »

« Je ne sors de nulle part, Pa, je viens juste de rentrer. »

« Par où ? »

« Ben, par la porte, par où voulais-tu que je rentre ? »

« Par là où sont passés les autres. Adah, ma chère, pouvez-vous me dire comment vous êtes arrivée ici alors que je vous attendais dans la cuisine ? »

« Ca alors, vous me la copierez ! Vous m’aviez dit de suivre le souterrain et que vous m’attendriez à la sortie, vous ne m’aviez pas dit d’aller dans la cuisine. Comment voulez-vous que je sache où elle est, votre cuisine ? »

« Si vous suivez le souterrain, il débouche dans la cuisine, chère amie. »

« Mais vous divaguez ! Votre souterrain, il débouche dans cette armoire, là, d’où sont d’ailleurs sortis vos deux fils et cette péronnelle. »

« Ah, vous n’allez pas recommencer ! La péronnelle vous… ». Joe se hâta de poser sa paume contre la bouche de Mariette pour l’empêcher de continuer.

« Mais lâche-la, Joe ! », s’écria imprudemment Careen, « c’est avec moi ou avec elle que tu avais rendez-vous ? »

Soudain, les nerfs de Mariette flanchèrent, elle éclata en sanglots. « Snif, je n’avais rendez-vous avec personne, snif, je voulais juste discuter de quelque chose avec Adam, snif, tranquillement, snif et je tombe sur une excitée qui m’insulte et maintenant, c’est elle… »

Ben se précipita : « Je t’en prie, ma petite fille, calme-toi. Tu n’y es pour rien dans tout cela. Mais en revanche », dit-il en relevant la tête et en changeant de ton, « il y en a un qui y est pour quelque chose et qui ne dit rien mais qui ne va pas s’en sortir comme ça. »

Adam essayait de se fondre dans la muraille. Un instant il considéra l’idée de s’enfuir par le souterrain mais il la repoussa sachant bien que ce n’était que reculer pour mieux sauter. Son père s’avança et le saisit par l’oreille gauche : « Viens par ici, monsieur l’architecte de génie. »

« Aïe, Pa, tu me fais mal ! »

« C’est exprès. Maintenant, j’attends tes explications. »

« Eh bien j’ai pensé que, l’autre jour, aïe, ce tunnel t’avait été bien utile. »

« Oui, je le reconnais, et alors ? »

« Ouille, arrête de tirer s’il te plaît. Comme Hop-Sing s’était déclaré le gardien de son issue dans la cuisine, j’ai pensé qu’il fallait ouvrir une autre sortie et j’ai choisi la chambre d’amis, voilà, c’est tout. »

« Voilà, c’est tout ? Mais tu te moques de moi, Adam », dit Ben après avoir libéré l’oreille cramoisie de son aîné, « tu t’es bien gardé de m’en parler, en revanche, tu as mis ton jeune frère dans la confidence… »

Adam pria mentalement le ciel pour que Joe ne soit pas atteint par une crise de franchise et ne révèle pas le secret de l’entrée par la cabane à outils mais son souhait ne fut qu’à moitié exaucé. Joe ne parla pas mais Careen se précipita vers Ben en joignant les mains :

« Nous ne voulions rien faire de mal, Monsieur Cartwright, nous voulions juste nous voir un peu hors de la surveillance de mon père. C’est pour ça que Joe m’a donné rendez-vous dans la cabane à outils.

« La cabane à outils ? » s’étonna Ben

« Oui, l’entrée du souterrain, quoi… »

« Qu’est-ce que c’est que ça encore ? ». Et pinçant cette fois l’oreille droite d’Adam : « J’attends », dit-il.

« J’ai pensé que la cabane, c’était plus près que le bosquet, ça faisait un raccourci. »

« C’est cela, oui, un raccourci. Ce qui va être raccourci, c’est le chemin de ma botte vers ton arrière-train. Pour le moment, il faut que je reconduise Adah, que Joe reconduise Careen et toi Mariette mais tu ne perds rien pour attendre. »

« J’avais raison, fallait rien dire à personne », marmonna Adam, alors qu’à son grand soulagement, son père lâchait son oreille.

« Que dis-tu »

« Rien, rien. »

« Tu fais bien. Hoss, va chercher la voiture qui est parquée à proximité du bosquet, je vais raccompagner Adah en ville et je m’en voudrais de la faire repasser par ce fichu souterrain que tu vas me boucher Adam. Tu ramènes Mariette et tu te mets illico au travail. »

« A cette heure-ci ? »

« Oui, à cette heure-ci. Et tu continueras sur ton temps de repos jusqu’à ce que les quatre issues soient condamnées. Compris ? Je viendrai contrôler »

« Oui, Pa », fit Adam, humilié de se faire traiter comme un petit garçon devant les trois femmes présentes.

Joe s’avança : « Pa, je vais aider Adam, j’ai été son complice, c’est juste que je sois puni moi aussi. »

« Pas question, il va faire ça tout seul et je veux qu’il en bave. »

Adam tourna la tête vers son jeune frère en souriant : « Merci de ton offre, Joe. J’y suis sensible »

« Normal », répondit Joe, « pour une fois que tu me faisais confiance. »

Adah saisit Ben par le bras : « Vous êtes injuste, Ben, vous étiez bien content de l’avoir, ce souterrain et il est rudement bien fait quand on y pense. »

« Ah, je vous en prie, Adah, ne vous mêlez pas de ça. Venez, notre carrosse est avancé. »

Adah s’accrocha à son bras en se demandant si elle n’avait pas fait une erreur en s’adressant au père plutôt qu’à son fils. « Il est plein de ressources, ce jeunot », se dit-elle. Mais il était trop tard pour s’en aviser.

A peine se furent-ils éloignés que les deux jeunes filles se ruèrent sur Adam :

« Mon pauvre coco ! » murmura Mariette en lui caressant la joue.

« Pauvre Adam », renchérit Careen en lui posant un baiser léger sur la main.

Adam hocha la tête en souriant : « Somme toute, ça présente des avantages de se faire enguirlander. Allons, mes petits poussins, il faut que nous vous ramenions chez vous sinon Papa Willard et Jason vont vous sonner les cloches. Surtout que moi, je ne suis pas encore dans mon lit… »

Tout le monde, y compris Hop-Sing, était couché depuis longtemps quand Adam décida qu’il avait assez travaillé cette nuit-là. Mais si son père l’avait entendu penser, alors qu’il soufflait sa chandelle, il se serait mordu les doigts d’avoir trop hâtivement choisi la manière de punir le rebelle :

« Bon, ça ne va pas être trop dur : l’issue de la cuisine, je la bouche, il n’y a pas à tortiller. Mais puisque Pa veut que j’en bave, comme il dit, plus j’y passerai du temps, plus il sera content. Donc, j’ai tout mon temps pour faire un faux mur coulissant dans la chambre d’amis. Pareil dans la cabane à outils : Pa ne sait même pas où est l’entrée : je fais une fausse ouverture et je la rebouche, il n’y verra que du feu. Dans le bosquet, en revanche, c’est plus difficile de le berner. C’est dit, je préserve deux issues et cette fois-ci, personne d’autre que moi ne sera au courant. »

Sur quoi, il se coucha, extrêmement content de lui-même.

                                                                                              FIN

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Author: ViveAdam

Age : 62. Married, 4 children and 7 grandchildren. French, living next to Paris. Profession : lawyer, journalist and publisher. I've been watching Bonanza for 25 years. Favourite character : Adam

1 thought on “Le souterrain (by ViveAdam)

  1. Histoire géniale 😄😅😅 Adam du début à la fin est l’homme de la situation 🤠 Tout le monde en profite, sauf Hoss qui entre par la porte, passage obligé.
    Tout se termine bien, Adam, le sournois s’en tire bien 🤠😘🥰

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